Prescripteurs de saines addictions

Brice F.

18,00
Conseillé par (Librairie de l'Angle rouge)
1 février 2023

🔥 Les frimas de janvier, et puis le feu 🔥

Pour moi, le premier grand coup de cœur de 2023 est tout entier enclos dans ce nouveau bijou, noir diamant irisé de rouges flammes, que nous livre encore La Peuplade.
L'orfèvre se nomme Eduardo Sangarcia, jeune auteur mexicain dont voici le premier roman. Et déjà, le choc.

Bavière, XVIe ou XVIIe siècle. La jeune et belle Anna Thalberg, "rousse aux yeux de miel", est accusée de sorcellerie. Soumise à la question et à la torture, elle cristallise les rancunes, les envies, les superstitions, les mensonges et les plus basses manigances. Autour d'elle se meuvent sinistre examinateur, sournoise délatrice, confesseur dépassé, et le Diable peut-être aussi, qui sait ? Et puis, surtout, à l'extérieur des murs de sa prison, Klaus, son pauvre mari et le père Friedrich, curé du village, qui tentent éperdument de prouver son innocence. Et de lui éviter le bûcher, que déjà à l'aube, on prépare.

Par un procédé stylistique époustouflant, Eduardo Sangarcia nous précipite en plein milieu de la folie meurtrière qui s'empare de la Bavière aux XVIe et XVIIe siècles, au cœur de l'obscurantisme religieux, de la violence patriarcale et des noirs élans de l'âme humaine. (À noter que l'auteur a consacré son doctorat à l'étude de la littérature latino-américaine de l'Holocauste. Et si les "Sorcières de Salem" d'Henry Miller dénonçaient le maccarthysme, Anna Thalberg pourrait être la représentation de toutes les communautés ostracisées, repudiées, genocidées, hier et encore aujourd'hui.)

Chaque chapitre de ce roman est une longue phrase, un long souffle rythmé par des ruptures dans la ponctuation, mais aussi par la mise en page, la mise en retrait de paragraphes, l'insertion de strophes poétiques, chansons, qui jouent avec le lecteur, alternant les points de vues, faisant s'entremêler les pensées, les échanges avec l'autre mais surtout avec soi-même. ( Saluons également le remarquable travail de traduction de Marianne Millon ).
Un tour de force remarquable, qui donne à ce court roman de 160 pages une envergure et une puissance narrative rare.
Ne passez pas à côté !

B.

Chroniques d'une apprentie capitaine

Glénat Livres

15,95
Conseillé par (Librairie de l'Angle rouge)
17 décembre 2022

La capitaine Sandrine Pierrefeu nous offre des extraits choisis d'une aventure maritime de trois mois, entre Islande et Groenland. Perspicace et généreuse, sa plume croque le quotidien de la vie à bord, dit les émotions brutes, détaille les manœuvres entre les icebergs, partage les rencontres et ses interrogations de voyageuse.
Grand large et grand largue sur le même bateau, n bonheur de lecture !

Conseillé par (Librairie de l'Angle rouge)
17 décembre 2022

Vous ouvrez "Zizi cabane", et d'un coup tout est possible : une mère qui disparait du jour au lendemain, une source qui jaillit dans une maison, un grand-père tombé du ciel. Au milieu de ces événements, il y a Zizi et ses grands frères, Béguin et Chiffon, qui composent comme ils peuvent avec l'absence de leur mère, la déroute de leur père et la maison qui fuit. Fichtre. On dirait bien que tout part à vau-l'eau, si ce n'était la force de ces trois gosses, leur aptitude à la joie et au mystère. Bérengère Cournut zigzague quelque part entre Ponti et Murakami, fait parler l'invisible qui veille les vivants, et enveloppe de tendresse ses personnages en devenir. Un livre-cabane, où il fait bon se réfugier par gros temps.
Leïla

Conseillé par (Librairie de l'Angle rouge)
17 décembre 2022

« Nous sommes les héritières d’une détermination farouche, nous les descendantes des avortements ratés, des grossesses imposées. Celle-ci est indémêlable de nos douleurs et de nos rages, transmises d’une génération à l’autre comme on essore un torchon plein de sang, dans l’anonymat d’une cuisine plongée dans la nuit ».
Dans ce livre adressé à la sœur disparue, Juliette Rousseau entrelace mémoire intime et analyse politique - ou plutôt replace l'histoire familiale dans l'ordre social qui l'a produite. Héritages familiaux, rapports de genre, parentalité, ruralité... Nombre d'interrogations inspirantes, embrassées par une langue précise et sensible.
Leïla

Réponses even aux crises systémiques

Empêcheurs de penser en rond

21,00
Conseillé par (Librairie de l'Angle rouge)
17 décembre 2022

Il y a eu ce magnifique titre, "Croire aux fauves", paru chez Verticales. C’est sur ce même terrain du Kamtchatka, péninsule de l’est de la Russie, que s’élabore "A l’Est des rêves" – et l’on retrouve avec bonheur certaines des silhouettes et des scènes du récit précédent ; paroles, rêves, feu. Comment vivre après l’effondrement ? Alternant ici entre récit et analyse, Nastassja Martin s’attache à saisir les implications du choix opéré par Daria et sa famille, à la chute de l’URSS, qui a consisté à repartir vivre en forêt. Au-delà des modes de subsistance engagés – chasse, pêche, cueillette –, il s’agit de retrouver le chemin fragile vers les « êtres et entités de la forêt qui comptent, en réactivant les possibles de relation ayant été suspendus par le processus colonial » - et à ce titre, les rêves jouent un rôle pivot. Quelques décennies ont suffi pour abolir quantité de savoirs, ou les figer en pratiques folkloriques. Les parages sont méthodiquement vidés de toute vie. Le dernier chamane se tait. Pourtant, la tentative tenace de Daria et de sa famille dessine un possible. Et Nastassja Martin de citer Bruno Latour : « Et si le naturalisme n'était qu'une parenthèse de l'histoire? Une parenthèse exotique au sein de laquelle nous aurions réduit les entités et leurs relations à des "points séparés les uns des autres" s'ordonnant dans et par les lois universelles de la nature, mais qui n'aurait pu être opérante que très peu de temps. C'est à ceux qui nous ont précédés, qui ont été écrasés par les politiques coloniales sous-tendues par ce corpus d'images et d'idées, et qui refont surface aujourd'hui grâce à l'instabilité écosystémique que ce livre est consacré ». Vivifiant. L.