Prescripteurs de saines addictions

La décadence et autres délices

Véronique Beucler

Éditions Dialogues

  • Conseillé par (Librairie Dialogues)
    7 novembre 2011

    Une ode engagée aux rêveurs

    Dans le roman de Véronique Beucler, La décadence et autres délices, toute une partie de la population d’une ville est touchée par d’étranges mutations physiques, simplement esquissées par l’auteur, au début du roman, pour laisser son lecteur évoluer en même temps que ses personnages, afin qu’il ne découvre pas de façon trop abrupte l’horreur de ces transformations.
    La grippe porcine en est le facteur déclencheur. Mais le lecteur découvre une tout autre épidémie, insidieuse, fourbe, inconnue et quasi indescriptible dès la troisième page. A la manière de didascalies, clin d’œil au talent de dramaturge de l’auteur, deux jeunes femmes font la découverte de mutations étranges sur leur corps.

    L’indicible entre ici en scène ainsi que Vladimir, le personnage central du roman et Jeff, son ami d’enfance dermatologue. Celui-ci lui fait part de son inquiétude car depuis peu il reçoit dans son cabinet des patients atteints par ces fameuses mutations. Vladimir rencontrera Ana une patiente de Jeff avec laquelle il ressentira le besoin de partir, en deuxième partie de roman, tant le monde dit « normal » leur échappera.

    Des thèmes comme l’altruisme, l’amitié et la tolérance, jalonnent le texte et font avancer les personnages. Vladi découvre cependant avec horreur, la folie de l’Homme, c’est une histoire dans l’histoire: le gouvernement va proposer des jeux romains antiques, des combats hommes-animaux, des hommes contre des fauves, pour obtenir un visa de séjour en France. L’horreur continue : cette proposition attirera l’un de ses amis sans-papier qu’il tentera d’aider grâce à un ami commun.

    Déçu et un peu perdu, il s’exilera avec Ana, pendant quatre ans, pour revenir dans une ville qu’il ne reconnaît plus, scindée en deux mondes : celui de la décadence et de ses délices, celui des mutations physiques assumées et de ces cochons auxquels on ne touchera plus, et surtout pas dans son assiette ! Et celui de la soi-disant norme, le monde de Jeff et de sa peur de l’autre, le monde qui n’accepte aucune différence, le monde de l’intolérance.

    Véronique Beucler offre ici une écriture pleine de subtilités et d’humour, à travers ces scènes de plaisir. L’animal même qu’est le cochon évoque la décadence, la lubricité, il n’y a plus d’inhibitions, chaque lecteur se retrouve face à ses propres interdits moraux qui explosent complètement ici. De cette façon, comment ne pas sourire lorsque dans cette parfumerie, des essences aux noms de « truffes », « petit groin » ou encore « fumure » sont présentées à Vladi et Ana ! J’ai aussi aimé l’inventivité de Véronique Beucler et sa « chorale nouveau genre : c’est ni plus ni moins des grognements ! »

    La décadence et autres délices est une ode engagée aux rêveurs, aux poètes, aux anti-cartésiens, « une société a besoin de rêveurs » comme le dit Kapzyk, l’un des personnages qui gravite autour de Vladi pour l’aider dans ses choix.

    C’est aussi une lecture très agréable que l’on découvre sous la plume de Véronique Beucler. L’intelligence de ce style littéraire nous propose par exemple, une sorte de sommaire à la lecture de la première page du roman. Véronique Beucler, par petites touches ou simples mots, va nous guider dans son roman: « grognait » fait référence au cochon, l’animal de la métamorphose, le mot « rêve » indique l’essence même de cette « décadence », tout comme cette comparaison qui laisse présager des « délices » et autres métamorphoses à venir : « son corps, entendez toute sa personne[…] avait été remplacée par une trompe ».
    Autre exemple d’inventivité, nous entrons dans ce roman en sortant du rêve du personnage principal, Vladimir. Astucieuse idée de la part de l’auteur, qui par cette entrée en matière, nous fait découvrir son plaisir de l’écriture qui jalonnera tout le roman, jusqu’à la dernière page.

    Enfin, cette histoire surprend, tant par le thème que par l’écriture, c’est en tout cas ce que j’attends d’un livre. Je n’ai pas une fois été essoufflée dans ma lecture, c’était au contraire très fluide et très agréable.
    Bonne lecture!


  • Conseillé par
    8 novembre 2011

    Energique, efficace, sensuel !

    « Ce jeudi-là, Vladimir Fradel se réveilla d'un sommeil agité ». Banale entrée? Peut-être... Mais on était jeudi, j'avais passé une mauvaise nuit, et j'ai tout de suite été embarquée par Vladi, happée par cette histoire farfelue et décalée. C'était exactement ce que j'avais envie de lire à ce moment-là...
    Quand le roman s'ouvre, c'est l'état d'urgence sur tout le territoire : enflures, déformations, lésions en tous genres font leur apparition. On parle vaccination, transmission, port de masque, enfin, on en parle, oui, mais surtout pas de manière publique... Attention : secret d'état, il ne faut surtout pas affoler la population... Tiens donc, tout ça ne nous rappellerait pas un peu un automne pas si lointain?...

    Comme Vladi, on a vite envie d'en savoir plus sur cette drôle d'épidémie, alors, comme si on était plongé dans une enquête, on avance et on tourne les pages avec grand plaisir. D'autant plus que les personnages sont vraiment attachants. Il y a les grands-parents de Vladimir, qui, comme quand il était enfant, continuent à lui offrir tendresse et affection : avoir un papi qui cite Camus, un papi prêt à manifester, à créer un collectif, c'est plutôt pas mal, non? Il y a aussi la belle et mystérieuse Ana, qui ne quitte jamais sa petite chaussette blanche, le voisin chimiste à la retraite qui ne demande qu'à reprendre du service, Jeff, l'ami médecin, coincé entre dire et taire, et aussi Traoré et Sénad, les deux clandestins au destin incertain... Tout ça avec en fond les refrains de Leonard Cohen!

    La deuxième partie est une vraie surprise. Après s'être éloigné quelques années, Vladimir retrouve une France un peu … différente, où plaisirs charnels et autres délices ont désormais pris place. Jouissance, libertinage, voluptés ont pris le pouvoir (tiens donc encore...) et c'est vraiment cocasse.
    Si je mets un petit bémol pour la dernière partie du roman (l'abus de cochonnaille - je vous laisse découvrir pourquoi...- m'a laissé comme une petite indigestion), l'impression générale est quand même très positive. Il y a plein de choses à piocher dans ce drôle de roman : c'est énergique, efficace, sensuel, différent de tout ce qu'on a l'habitude de lire, bref, ça fait du bien!


  • Conseillé par
    7 novembre 2011

    Epatant

    Le livre de Véronique Beucler est exceptionnel.
    D'abord par l'écriture. C'est impeccablement soigné, briqué, poli, sans que cela se voie, se voie trop, sans l'étalage rhétorique qui est aujourd'hui la règle. Elle a le cran de l'élégance discrète, c'est-à-dire de l'élégance tout court.
    Et puis son livre est un livre drôle. Mordant, féroce, énorme, mais drôle. En ces temps où le sujet dominant du roman est la vertigineuse descente au fond de mon nombril, voilà une originalité singulière, presque dérangeante, diablement courageuse.
    Et surtout, elle ose, elle va jusqu'au bout, elle impose sa fable avec un aplomb, un culot d'enfer. Pas moyen de s'évader, cette affaire de cochonnerie - tout en légèreté, au demeurant, et c'est un tour de force - nous tient la tête du début à la fin.
    Moi, j'admire cette énergie de la romancière qui ne raconte pas son dernier divorce, ni les humeurs de son Papa, ni les émois de ses premières règles : elle invente un monde et nous y fait entrer, comme les écrivains des Antilles ou d'Amérique latine.
    Quand le blabla parisien se perdra dans les sables, on la relira et on se dira qu'à l'automne 2011, il s'est passé quelque chose. Même qu'on a ri, avec mauvaise conscience.
    Chapeau!

    Hervé Hamon


  • Conseillé par
    6 novembre 2011

    Epatant

    Le livre de Véronique Beucler est exceptionnel.
    D'abord par l'écriture. C'est impeccablement soigné, briqué, poli, sans que cela se voie, se voie trop, sans l'étalage rhétorique qui est aujourd'hui la règle. Elle a le cran de l'élégance discrète, c'est-à-dire de l'élégance tout court.
    Et puis son livre est un livre drôle. Mordant, féroce, énorme, mais drôle. En ces temps où le sujet dominant du roman est la vertigineuse descente au fond de mon nombril, voilà une originalité sigulière, presque dérangeante, diablement courageuse.
    Et surtout, elle ose, elle va jusqu'au bout, elle impose sa fable avec un aplomb, un culot d'enfer. Pas moyen de s'évader, cette affaire de cochonnerie - tout en légèreté, au demeurant, et c'est un tour de force - nous tient la tête du début à la fin.
    Moi, j'admire cette énergie de la romancière qui ne raconte pas son dernier divorce, ni les humeurs de son Papa, ni les émois de ses premières règles : elle invente un monde et nous y fait entrer, comme les écrivains des Antilles ou d'Amérique latine.
    Quand le blabla parisien se perdra dans les sables, on la relira et on se dira qu'à l'automne 2011, il s'est passé quelque chose. Même qu'on a ri, avec mauvaise conscience.
    Chapeau!

    Hervé Hamon