A l'ombre des Tilleuls

Les histoires des villes et des campagnes, celles des gens simples, des soldats, s’inscrivent dans la grande Histoire avant de disparaître des mémoires. Parfois une lettre, une photo, un hasard ou même un roman les fait revivre. Ainsi, Augustine et Henri sont ils sortis de l’ombre pour reprendre vie : lui, jeté dans la tourmente de la Grande Guerre ; elle, isolée dans sa petite bourgade de l’Ain, gérant le café des Tilleuls, hésitant entre passé et projets d’avenir, et qui tente d’exister…Augustine essuya son front couvert de sueur d’un revers de manche. Elle posa le lourd panier de bouteilles sur le dallage et referma la trappe de la cave. La cuisine était redevenue silencieuse après une après-midi agitée. Elle empoigna une chaise et s’assit assez lourdement, pleine de fatigue… Les volets filtraient le soleil de la fin de journée et dessinaient des bandes horizontales sur le carrelage ; une mouche bourdonnait sur le buffet. Augustine ne pouvait s’empêcher de suivre les mouvements de l’insecte qui s’arrêtait de temps en temps pour frotter ses pattes l’une contre l’autre puis repartait à l’assaut de la vitre ou à la recherche de miettes de pain sur le bord de la table. — Moi je dis que les nouvelles vont pas tarder !— Et moi je maintiens qu’il faut du temps pour s’installer et que forcément, le courrier il arrive pas vite et de toutes façons, faut pas croire : y z’ont pas qu’ça à faire nos p’tits gars, là-bas…— Mais qu’est-ce que vous racontez ? Les journaux nous disent que tout est déjà bien parti et que ça va être vite réglé c’t’affaire là…— On m’a dit que le fils Mathieu venait juste de partir lui aussi, direction Besançon…Augustine porta les deux mains à ses oreilles comme si les clients étaient encore là sur la terrasse, à entrechoquer leurs verres en jasant comme des pies. Pourquoi n’y avait-il pas de courrier ? Pourquoi ne recevait-elle pas de réponse à ses deux lettres ? Etait-il arrivé malheur ? Sinon, comment était-il possible que les lettres des soldats ne soient pas acheminées plus rapidement ? L’absence, le silence… C’était insupportable…