« Dès mes premières années, le monde s’est transformé en épopée : orphelin, j’ai échappé à la gestapo en m’enfuyant la nuit, j’ai rencontré des gens merveilleux, j’ai triomphé des nazis puisque j’ai survécu. N’ayant pas eu le droit d’aller à l’école, ayant appris à lire deci delà, je ne sais où, je me réfugiais dans la rêverie que mes lectures alimentaient. Mon premier héros fut Rémi de Sans famille, enfant artiste de rues, entouré d’animaux malicieux. Puis j’ai aimé Oliver Twist, orphelin anglais exploité par de cruels adultes. Ces héros ont enchanté mon enfance délabrée. Quand ils parlent des merveilleux malheurs dont ils ont triomphé, nos héros nous montrent le chemin. Le monde s’éclaire quand apparait un héros. Le Bien triomphe du Mal, le faible renverse le fort, le doute a disparu, on peut choisir son camp et croire en celui qui montre le chemin. On éprouve tant de bonheur à suivre ce conducteur, nous qui étions malheureux. L’histoire de sa vie nous raconte ce qu’on espère en donnant une forme narrative au besoin de ne plus se sentir faible et humilié. La passion nationaliste est exaltante, elle sécrète des héros que le groupe place au-dessus des hommes dans une sacralité qui provoque une morale perverse : l’amour du même et la haine de l’autre. Le héros passionnel soumet son groupe à une représentation enthousiasmante, comme un érotisme qui mène à la mort. Notre heureuse soumission est aveuglée par l’excessive clarté des récits auxquels on aspire. » B. C.

Boris Cyrulnik est l’auteur de nombreux ouvrages qui ont tous été d’immenses succès, notamment "Un merveilleux malheur", "Les Vilains Petits Canards" et plus récemment "Sauve-toi, la vie t’appelle" et "Les Âmes blessées", tous parus aux éditions Odile Jacob.