Prescripteurs de saines addictions

Lara C.

Lectrice compulsive avec toujours trois ou quatre livres sous la main, voire cinq ou six et peut-être même plus.
Je ne cache pas mon inclinaison pour la littérature américaine, la littérature japonaise, les romans noirs ou à l'inverse complètement décalés.
Plus largement j'ai une affection toute particulière pour les histoires rugueuses mais à la plume déliée.

Conseillé par (Librairie L'Armitière)
14 septembre 2020

Ils sont trois : Hye-Jun, la nerd aux talents informatiques incomparables mais à l'hygiène douteuse, Su-cheol le gorille amateur d'armes (le plus souvent factices) qui soutire les informations, sans oublier l'inénarrable Han-Jun, prétendu Chaman qui n'a de sa fonction que le titre, et qui gère sa petite entreprise toute aussi frauduleuse que lucrative, d'une main de maître.

Ce qui semble débuter par une enquête mineure avec l'apparition d'un fantôme chez une cliente, prend une ampleur inattendue lorsque l'on découvre en parallèle le corps calciné d'une adolescente dans les égouts.

À partir de là, ce trio va croiser le chemin des enquêteurs de la Police criminelle : et si leur enquête respective était plus liée qu'ils ne le pensaient ?

Avec ces héros archétypaux, son ton enlevé voire son côté décalé, et son enquête brillamment menée, les "Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant" est une plongée haletante dans cette Corée oscillant entre valeurs traditionnelles et culture de la modernité.

À lire sans hésitation !

Le nouvel Attila

18,00
Conseillé par (Librairie L'Armitière)
24 août 2020

Avec un style comme nul autre pareil, tirant presque vers le Slam, au phrasé concis et électrique, Gauz nous raconte Black Manoo et son alter-ego : Emmanuel.

C'est que Black Manoo il a eu mille et une vies entre Abidjan son pays natal et la France qu'il découvre au milieu des années 90.

C'est percutant, ça résonne et décloisonne : à lire d'une traite !

Mention spéciale également pour la superbe photographie de couverture, que l'on doit à Aïda Muluneh.

Conseillé par (Librairie L'Armitière)
20 août 2020

Construit comme un triptyque, "Autoportrait en chevreuil" fait partie de ces romans sensibles et à la plume juste, dont on aimerait suspendre la lecture pour mieux en apprécier la forme comme le fond à chaque page tournée.

Ce n'est pas tant Elias dont le portrait est dressé que celui de son père à travers lui. Ce père parlons-en : rebouteux-paradoxologue-magnétiseur-coupeur de feu, enfin, un bonhomme un étrange obsédé par les ondes et aux rituels douteux qui auront marqués sa famille.

Le lecteur lui-même aura peur d'effaroucher Elias, cet homme-chevreuil, aux allures dégingandées, qui semble tant en retrait de lui-même et des autres; et qu'Avril, sa compagne, surnomme elle-même "Bancal Bibli".

Ces trois voix qui se suivent, celle d'Elias tout d'abord, puis d'Avril et du père d'Elias permettront d'appréhender Elias et d'en saisir l'essence ainsi que les traumas au moment où sa vie prend un nouveau tournant.

Même dans les aspects les plus tristes ou durs de ce roman, il émane une forme de douceur et d'empathie pour les personnages d'Elias et de son père, qui sont comme suspendus dans une temporalité qui leur appartient après l'éloignement du fils.

On ressort de ce roman comme après une parenthèse au cours de laquelle nous aurions saisi - l'espace d'un instant - cette vision fugace d'un chevreuil dans un bois, avec tout ce que comporte de sauvage, de puissant et d'effarouché cet animal.

Le Cherche Midi

22,00
Conseillé par (Librairie L'Armitière)
17 août 2020

S'ouvrant en 2010 sur l'entrée dans un camp de "redressement" de Willem, "Tout ira bien" revient brutalement en 1901 année au cours de laquelle Sarah von der Watt et son fils sont emmenés en camp de détention par les Anglais pendant la Seconde guerre des Boers.

À partir de ce parallèle, "Tout ira bien" s'attachera à montrer les racines et l'inertie de l'Histoire et ses répercussions à long terme sur la société sud-africaine et plus particulièrement sur une cellule familiale : celle à laquelle appartient Willem.
Adolescent effacé, soupçonné d'homosexualité, incontinent, Willem est contraint d'intégrer ce camp à cause de ses différences, le tout sur fond du racisme latent qui imprègne encore l'Afrique du Sud.

"Tout ira bien" c'est aussi l'histoire d'une filiation, car nous suivons également de près l'histoire de Rayna, la grand-mère de Willem, ainsi que d'Irma, sa mère, et leur regard porté sur l'évolution du pays.Jusque dans l'enfer du camp (que ce soit celui où sont emprisonnés Sarah et son fils, ou celui auquel au sein duquel Willem est catapulté), le lecteur plonge à travers les époques à un rythme qui s'accélère comme pour révéler l'actualité de la situation.

Le sujet et la façon de l'aborder donnent toute sa force au roman, lequel vient mettre en lumière un pan de l'histoire le plus souvent méconnu, dans une Afrique du Sud qui porte encore le poids d'un lourd passé.

Conseillé par (Librairie L'Armitière)
17 août 2020

C'est au prix de ses mains tranchées qu'Eddie, "le manchot pas manchot", a chèrement gagné sa liberté.

Échappant à une ferme gigantesque qui ne fonctionne que grâce à l'exploitation de toxicomanes, ce dernier tente à la fois de se reconstruire en dehors mais aussi de retirer de l'emprise de Delicious FoodⓇ sa mère, Darlène.

Et au milieu de tout ça, il y a Scotty, autrement connu sous le nom de cristal meth, la drogue, cet amant jaloux qui fait tout ce qu'il est possible de faire pour retenir également Darlène après l'avoir entraînée dans sa chute.

D'une grande puissance narrative renforcée par les voix plurielles d'Eddie, de Scotty, et de Darlène, "Delicious FoodⓇ" dépeint les esclavages tout à la fois de la drogue et de l'exploitation de femmes et d'hommes qui pensent trouver le planche de salut en un travail honorable et finissent réduits à l'état de néant.

Par ce roman, James Hannaham pointe du doigt les ressorts de l'esclavage contemporain en soulignant une mécanique implacable visant à tromper des personnes en situation de vulnérabilité par des annonces alléchantes, les faisant victimes de violences, d'humiliations diverses, les endettant et en leur mettant à disposition de la drogue pour mieux les retenir. 
"Delicious FoodⓇ" présente un côté d'autant plus glaçant que tout ceci n'est peut-être que trop réel pour certain.e.s.

À lire pour l'excellente plume de l'auteur et de sa traductrice, ainsi que pour son sujet !