Prescripteurs de saines addictions

Thierry C.

http://lesangnoir.wordpress.com/

«Acheter des livres serait une bonne chose si l’on pouvait simultanément acheter le temps de les lire.» Schopenhauer
Et à quoi sert la littérature?
Peut-être à essayer de vivre selon les nuances car la littérature est «maîtresse des nuances» disait Barthes.
La littérature «s'embarrasse» de nuances. Ne se sépare de personne.
Elle s’intéresse aux différences, aux subtiles différences, aux sensibles singularités.
Elle veut comprendre. Raconter. Regarder. Éclairer l’existence.
Teinter la vie. Sucrer, saler la vie.
La littérature aide à respirer. Reprendre souffle. A souffler, un peu. Sûrement!

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29 octobre 2014

« Norma, ma femme, s'était fait la malle avec Guy Dupree et je guettais l'arrivée des relevés de cartes de crédit qui me permettraient de savoir où ils étaient allés. »
Ray Midge, vingt-six ans d'âge, « glandeur » invétéré, son Colt Cobra planqué au fond de la glacière, part récupérer sa Ford Torino (à tout prix) et sa femme (éventuellement).

« Qu'est-ce que tout le monde cherche ? il a dit. Norma n'a pas hésité : elle a dit que tout le monde cherchait l'amour. »

Et c'est parti pour un « road-movie » rocambolesque et hilarant.

Charles Pontis, l'auteur, ancien journaliste à l'Herald Tribune, va nous bringuebaler sur des routes défoncées de l'Arkansas au Belize en passant par le Texas et le Mexique.

De crades motels en parcs à caravanes désertiques en passant par des bars plus que louches, Ray, dans une Buick déglinguée – la véritable héroïne du livre – part vers le Sud à la recherche du temps perdu.

« Les deux phares droits étaient pétés et la direction encore plus endommagée : il y avait maintenant presque un demi-tour de jeu dans le volant. La position de la barre transversale du volant était modifiée elle aussi, de l'horizontale elle était passée à la verticale, et ce nouvel alignement ne me permettait pas de positionner mes mains correctement. »

Ray, « looser » généreux, va rencontrer, pour notre plus grand bonheur de lecteur, des hippies débraillés, des évangélistes illuminés, un Docteur fou-dingue et j'en passe et des bien pires.

Ce roman nous trimbale à travers une Amérique cahotante, déboussolée en quête d'illusions perdues.
L'humour désabusé et pathétique de Portis nous tient collés sur la banquette cramoisie par la chaleur du Sud jusqu'au bout de la route.
Pied au plancher, cœur soulevé-chahuté par les bosses de la vie.

« La glace avait fondu depuis belle lurette et le fromage et le salami étaient foutus. L'eau était marron à cause des languettes des canettes de bière qui avaient rouillé. Au fond de ce marécage, mon Colt Cobra ballottait dans son sac en plastique. »

Chaudement recommandé !
Bon voyage à vous...

Éditions de L'Olivier

22,00
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31 août 2014

Philip Bowman, jeune homme trop pressé, s’est fixé deux objectifs : rencontrer l’amour et Hemingway.

Il voit l’avenir suivant ses propres rêves. Il rencontre Vivian. Se marie.
Mais déjà, «le même couple, le même lit, et pourtant ils n’étaient plus les mêmes.»
L’Amérique des années 50, l’Amérique d’après-guerre.
Les mêmes américains, le même pays et pourtant une Amérique qui n’était plus la même.
Un Amérique très (trop) pressée...et c’est magnifique !

Le livre de James Salter est un succulent cliché de l’Amérique.
L’auteur manie dialogues avec véracité et dextérité. Très vivant.
Les descriptions de «l’american way of life» sont un régal. Éloquent.
Une sorte de far-west : celle d’une génération désenchantée et désabusée. Une génération à l’ouest !
A la conquête des illusions perdues.
Décidément l’Histoire de cette jeune Amérique n’en finit pas de s’écrire.

Je conseille vivement cette lecture...et rien d’autre...
Une nouvelle découverte de l’Amérique.
Un livre fort et irrésistible...
Encore et encore...
Un 5 étoiles sur la bannière étoilée de la rentrée littéraire.

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31 août 2014

«Et, parfois, la scène semble exister davantage que le monde...»

C’est l’histoire de Buffalo Bill que nous raconte Eric Vuillard.
Avec talent comme souvent.
Celle du «Wild West Show» ou l’invention du show-business.
Avec son héros Buffalo Bill lui-même qui joue son propre rôle (lamentable légende vivante), un impresario plus que louche, de vrais indiens (avec le véritable Sitting Bull), huit cents personnes, cinq cents chevaux, des dizaines de bisons...
Une version revue et très corrigée de l’Histoire de la conquête de l’Ouest.
L’Amérique qui change de peau en ce début d’industrialisation en redemande. Elle a soif de son passé et faim d'avenir prometteur.

«La foule hurle, l’insulte. On crache. La voilà, la chose inouïe, le Peau-Rouge, celui qu’on est venu voir, la bête curieuse qui a rôdé autour de nos fermes...»
L’Amérique se donne des frissons.

Le show fera le tour du monde : Rome, Londres, Paris jusqu’à Nancy !
La grande parade, la comédie humaine jouée et rejouée.
Little Big Horn et Wounded Knee tournés en ridicule.

«Quelques Indiens à cheval tournent autour des rangers en criant comme Buffalo Bill leur a appris à le faire.
Ils font claquer leur paume sur leur bouche, whou! whou! whou! Et cela rend une sorte de cri sauvage, inhumain. Mais ce cri de guerre, ils ne l’ont poussé ni dans les Grandes Plaines ni au Canada, ni nulle part ailleurs, c’est une pure invention de Buffalo Bill.»

Mais bientôt le public va se lasser du spectacle.
Déjà pointent les nez illuminés des Luna Park et autres DisneyLand...
Les fanfaronnades de Bill Cody vont s’éteindre et tomber dans l’oubli.

Un livre émouvant. Un livre de révolte.

«La civilisation était devenue cela : un alliage impossible de nouveautés et de regrets.»

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30 mai 2014

« Même s’il fait référence à des événements historiques, ce roman est une fiction. »

Gouiran nous plonge dans le scandale des bébés volés du franquisme.

“Veiller sur toutes les femmes qui ont fait un faux pas et souhaitent retrouver leur dignité”, qu’ils disaient les fachos de Franco avec la complicité de l’Eglise espagnole. Quand le sabre et le goupillon se donne la main.
Purifier la race, rééduquer la mauvaise graine, le fameux gène « rouge » et confier les bébés volés à des familles proches du régime, à l’aristocratie espagnole.

« Les relations intimes existant entre le marxisme et l’infériorité mentale sont évidentes et concluent, sur base de ce postulat, que la mise à l’écart des sujets, dès l’enfance, pourrait affranchir la société de cette idéologie… »
Dr Antonio Vallejo Nágera, médecin psychiatre et franquiste.

Franco et ses sbires, l’Eglise, ses soeurs et ses curés mains dans la main, copains-copains comme « cochons ».
Retenez bien ça, cher lecteur, la glaive et la croix complices de crimes contre l’humanité.
L’Inquisition, Les Croisades, la Guerre d’Espagne, les massacres au Liban, la dictature en Argentine, les tueries du Rwanda, j’en passe et des bien pires…

Clovis, journaliste sans frontière, coule une retraite paisible.
Quand Samia frappe à sa porte : son ami François a disparu.

« Elle avait défait son manteau et pris place sur le canapé de cuir défoncé, là même où j’avais fait l’amour à des filles que je n’avais jamais vraiment aimées. Tandis qu’elle…Elle avait hanté mes nuits et attisé mon désir sans que j’ose effleurer, ne serait-ce qu’une fois, son cou de mes lèvres. »

Samia et François, lui aussi un ancien journaliste, ami de Clovis. Samia et François, ça dure depuis plus de trente ans. Eux aussi se la coulent douce dans le marais poitevin près de Niort.

Clovis et François, deux amis rebelles à l’information officielle , à la recherche de la vérité à travers le monde.
Samia, rescapée des massacres de Sabra et Chatilla, a choisi François.

François a disparu. Il enquêtait en Espagne sur ces enlèvements. Une horreur où se mêlent, se mouillent gynécologues, avocats, médecins, prêtres et religieuses.

Carmen a été internée en 1981. Elle n’a pas oublié l’infirmerie où étaient emmenés les bébés malades. “Certains ne redescendaient jamais. Je me souviens qu’on disait aux mères qu’ils étaient morts, mais une rumeur circulait selon laquelle des familles d’adoption les avaient emmenés. Je ne laissais pas ma fille seule une minute, j’étais paniquée à l’idée qu’elle tombe malade et que je la perde.”
On estime aujourd’hui le nombre d’enfants volés à plus de 300 000.

Clovis va reprendre du service et partir à Barcelone à la recherche de François.
Et il va mettre les pieds dans un plat pas très, hum, comment dire, pas très catholique.

Le trio, Samia, François, Clovis, peint par Gouiran est un régal nourri d’amitié, de blessures et de regrets.
Le dessin de Barcelone esquissé par Gouiran est un modèle d’amour pour cette ville qui fleure bon l’anarchisme.

« Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La plupart Espagnols allez savoir pourquoi
Faut croire qu’en Espagne on ne les comprend pas » chantait Léo Ferré.

La très recommandable maison d’Edition Jigal nous offre là, encore, un polar frappant fort au cœur et au corps qui sait avec habileté mêler des destins personnels et la Grande Histoire, celle qui tue dans la plus honteuse des légalités, celle que l’on ne devrait jamais oublié, celle qui devrait nous servir de leçon.
Frère lecteur, n’oublions pas notre sombre passé pour éviter le noir à venir, le terrible avenir.

« Tu sais, on sera jugé non pas sur ce que nous avons fait, non pas sur ce que nous n’avons pas fait, mais bien sur ce que nous aurions dû faire. »

Eteignez votre télé, nom de Dieu et lisez ce bon, ce très bon Gouiran !

roman traduit de l'espagnol (Espagne) par Alex et Nelly Lhermillier

Grasset

25,90
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10 janvier 2014

Le bonheur est dans le pré.
Un roman optimiste : une denrée rare.
Alors faut pas se priver, pas hésiter : servez-vous une tasse de «L’éveil de mademoiselle Prim», vous verrez ça fait du bien.
A Saint-Irénée d’Arnois (c’est où ça ?) vit une étrange communauté : des hors-la-loi romantiques.

Un village tranquille et cultivé qui cultive le bonheur comme d’autres cultivent du maïs transgénique.
Loin des éxubérantes mégalopoles.
Ses habitants, tous plus originaux les uns que les autres, ont fui les villes hostiles.
Ils veulent «protéger leurs enfants de l’influence du monde, revenir à la pureté des moeurs, retrouver la splendeur de l’ancienne culture.»

Une secte ? Des nouveaux Amish ? Des bobos ? Des illuminés ?

Point de tout cela cher lecteur impatient et curieux, vous le saurez en lisant ce livre qui se déguste comme une bonne truffe au chocolat.

Et c’est dans cet étonnant village que va «atterrir» Mademoiselle Prudence Prim pour un poste de bibliothécaire auprès d’un énigmatique monsieur, «l’homme du fauteuil» (on ne connaitra jamais son nom), une sorte de gentleman «à l’ancienne».

Ici les enfants se prénomment Téséris, Deka, Eksi ou Septimus. Ils ne sont jamais allés à l’école mais connaissent sur le bout des doigts le latin et le grec, lisent Saint Augustin et Virgile.
Ils pratiquent l’escrime et respectent les codes de la chevalerie.

Un paradis perdu, une fable, une bluette insignifiante, un premier roman très original que j’ai lu avec un grand plaisir.

Ce roman est un petit bonheur de lecture, bavard et confortable, hors du temps. A découvrir !

Vivement conseillé avec la tasse de thé et le feu de cheminée qui vont avec !

« Malgré le chaos que vous voyez dans ma bibliothèque (…) il n’y a pas une seule virgule improvisée dans l’éducation des enfants. Ni aucun des livres qui leur passent entre les mains qui ne soient auparavant passé entre les miennes. Ce n’est pas un hasard s’ils ont lu Carroll avant Dickens et celui-ci avant Homère. Il n’y a rien de fortuit dans le fait qu’ils aient appris à rimer avec Stevenson avant d’arriver à Tennyson, ni qu’ils soient arrivés à Tennyson avant d’en venir à Virgile. Ils ont connu Blanche-Neige, Pierrot le Lapin et les enfants perdus avant Oliver Twist, Gulliver et Robinson Crusoé, et ceux-ci avant Ulysse, don Quichotte, Faust ou le roi Lear. Et ils l’ont fait dans cet ordre parce que je l’ai voulu ainsi. Ils grandissent avec de bonnes lectures avant d’être capables d’assimiler ensuite de grandes lectures. »