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La Guerre civile froide
EAN13
2000035509286
Éditeur
Fayard
Date de publication
Collection
Littérature Française
Poids
240 g
Langue
français

La Guerre civile froide

Fayard

Littérature Française

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Introduction?>Si quelqu'un avait pu encore en douter, la crise monétaire de novembre a montré que la France n'avait pas fini de subir les effets des journées de mai. C'est tout un équilibre qui a été ébranlé. La société a mesuré la fragilité de la sécurité dont elle se nourrissait. La base matérielle confortable sur laquelle reposait l'ambitieuse politique étrangère du général de Gaulle s'est trouvée lézardée, avant même que l'invasion de la Tchécoslovaquie vienne brutalement boucher les perspectives rassurantes qu'elle avait contribué à ouvrir.Tout indique donc qu'il s'est agi, dans l'histoire mouvementée de notre peuple, d'un événement majeur. De nombreux ouvrages, auxquels il peut paraître vain de prétendre ajouter, lui ont déjà été consacrés. Mais la plupart du temps ils ont été écrits, en quelque sorte, à chaud. C'est pourquoi, à moins que leur auteur ait délibérément choisi de ne traiter qu'un des aspects d'un phénomène en fin de compte très complexe, ils relèvent davantage en général de la polémique ou du récit coloré que de l'analyse sereine.Aujourd'hui, les mois ont passé. Nous disposons d'un certain recul. Il est certes insuffisant pour qu'on puisse envisager d'écrire l'histoire d'une révolte dont bien des aspects demeurent mal connus, sinon tout à fait ignorés. Du moins peut-on essayer d'élargir le cadre dans lequel elle a été habituellement évoquée et notamment de la replacer dans le contexte international, tant idéologique que stratégique, dont elle est difficilement séparable. Des ferments intellectuels d'ambition universelle, des exemples venus du dehors, ont, en effet, joué un rôle essentiel dans la naissance de la contestation. Le conflit n'aurait pas connu le même dénouement si l'U.R.S.S. et la Chine n'étaient pas à présent à couteaux tirés, et si le duel soviéto-américain ne s'était pas mué en une coexistence que le drame tchèque lui-même ne suffit pas à remettre sérieusement en question.Le déroulement de la confrontation entre le régime gaulliste et ses adversaires n'est pas de son côté sans présenter d'étranges similitudes avec les parties « au bord du gouffre » qui ont pendant vingt ans jalonné la guerre froide. On peut même parler d'une véritable « guerre civile froide » avec le même recours à l'intimidation, à la dissuasion, les mêmes efforts de certains « petits » — en l'espèce les « groupuscules » — pour mettre en mouvement des « grands » peu soucieux de se risquer à des affrontements ouverts. Il n'est pas jusqu'à l'étude des causes de cette épreuve de force qui ne fasse apparaître, comme dans la guerre froide, l'importance du rôle joué par les malentendus, les idées préconçues, les erreurs de calcul, la mauvaise connaissance de la situation, une évaluation erronée des forces de l'adversaire, l'incapacité à saisir à temps la dimension des mutations en cours, et, pour tout dire en peu de mots, la sclérose de la pensée et des appareils.Dans cette bataille de guerre civile froide, comme dans celles de la guerre froide tout court, la victoire a été au plus fort, au plus imaginatif, à celui qui avait le plus de sang-froid et d'intuition psychologique. Mais elle n'a pas fait disparaître les causes de la révolte, bien au contraire, puisqu'elle a semé dans les cœurs des vaincus, transportés un moment par de vastes espoirs, une amertume dont rien de bon ne peut sortir, et que le régime d'austérité imposé à la nation multiplie le nombre des mécontents.La crise persiste donc, sourdement, et risque de rebondir. Chacun, à droite, à gauche, au pouvoir ou dans l'opposition, dans son fauteuil de P.D.G. ou à son poste syndical, dans son comportement, actif ou passif, de citoyen, en porte sa part de responsabilité, et celui qui prétend le contraire mérite le châtiment que la Providence a toujours réservé, en fin de compte, aux orgueilleux et aux pharisiens. Mais il existe, pour aborder tous ces problèmes et en chercher le remède, deux attitudes concevables. On peut tout subordonner à une idée, à une théorie, à une philosophie et ne retenir des faits que ceux qui cadrent avec elles : c'est ce qu'on appelle, d'une manière générale, l'esprit de parti. On peut aussi, créditant au départ les antagonistes d'un minimum de bonne foi, essayer de bien comprendre les motifs de leur querelle et chercher s'il n'existe pas quelque moyen de la réduire, au nom du principe vieux comme le monde qu'un compromis, même mauvais, vaut mieux qu'un procès, même excellent, et à plus forte raison qu'une guerre, même civile, même froide.C'est dans cette optique que nous avons essayé de nous placer pour examiner successivement les maladies de la société qui ont engendré la crise, la manière dont elle s'est déroulée, comme les directions qu'il faudrait sans doute explorer si l'on veut en éviter la répétition sous une forme qui, sans profit réel pour personne, risquerait d'être beaucoup plus grave pour tous.
1eraoût-1erdécembre 1968.?>Première partie?>La société malade de la paix?>Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait durer, c'est qu'il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes les autres qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci : qu'est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel ? Car, en supposant qu'il continuât à exister matériellement, serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire historique ?BAUDELAIRE (Fusées).?>Chapitre premier?>Les méfaits de la sécurité?>Tant de révolutions, depuis deux siècles, ont été enfantées par la guerre qu'on avait un peu oublié, avant la crise de mai, qu'il existait des maladies de la paix dont un régime, comme la société qu'il exprime peuvent fort bien mourir.La France n'était pourtant pas en guerre en 1789 ; mais elle connaissait une étonnante exubérance démographique — Gaston Bouthoul rappelle qu'on l'appelait alors « la Chine de l'Europe » — et les progrès trop lents de l'économie étaient impuissants à aborder l'excédent de main-d'œuvre juvénile. C'est peut-être là qu'il faut chercher la cause principale de la chute de la monarchie et du carnage qui allait coûter pour toujours à notre pays sa prépondérance.En 1830 non plus il n'y avait pas de guerre, à moins d'appliquer ce nom à l'expédition d'Alger ; mais qui prétendrait qu'elle a en quoi que ce soit contribué à détrôner Charles X ? Quant à la révolution de 1848 elle a renversé le plus débonnaire des souverains, après dix-huit ans d'un règne qui avait porté à leur comble la stabilité politique et le progrès économique. Son tort principal était, comme Lamartine le lui avait reproché, d'avoir laissé la France « s'ennuyer ». Ce mot célèbre a été repris par Pierre Viansson-Ponté quelques semaines avant que de nouvelles barricades, sorties du musée historique où on les croyait définitivement reléguées, se dressent à nouveau en travers de nos rues. Le parallèle s'imposait. Tout le monde a relu l'Education sentimentale. Raymond Aron a trouvé dans son cher Tocqueville une page consacrée à l'écroulement de la monarchie de Juillet ; à cette nuance près que de Gaulle, malgré son goût occasionnel pour les formules à la Joseph Prudhomme, n'est pas Louis-Philippe, elle paraissait s'appliquer comme un gant à une révolte que personne, non plus, n'avait senti venir.Personne ? L'année précédente avait paru aux Etats-Unis, y faisant grand bruit, une étude qui posait une question dont les journées de mai ont montré à quel point elle était pertinente : la société contemporaine qui doit tant, si on l'observe d'un peu près, à l'institution de la guerre, pourrait-elle, sans danger majeur, faire face à sa totale abolition ? A l'avènement d'un monde où non seulement l'on ne se battrait plus, mais où il ne serait plus nécessaire de dépenser et de travailler pour préparer les hostilités ? La réponse des auteurs anonymes de ce rapport était fort pessimiste ; ils allaient jusqu'à préconiser, pour le cas, à leurs yeux heureusement improbable, où une telle situation se présenterait, telles mesures que le rétablissement de l'esclavage, l'intensification délibérée de la pollution de l'air et de l'eau, la généralisation de l'insémination artificielle.En fait, il s'agissait d'un canular, bien dans la manière de J. K. Galbraith, le fa...
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