Prescripteurs de saines addictions

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    31 mars 2014

    Le désastre des non-dits

    En hébreu, le « balagan », c’est le bordel. Et dans la vie d’Emilie, adolescente surdouée d’à peine douze ans, ce désordre règne en maître. Solitaire et extravagante, la jeune fille n’a qu’un ami, un monstre imaginaire dont la mission principale consiste à avaler les mots qu’elle lui jette en pâture. Surnommé « Croquebal », l’ogre mangeur de mots lui tient compagnie. Au collège, elle est la mal aimée, celle qui hérite des pires surnoms et qui est moquée dans la cour de récréation. Alors, pour exprimer ce qu’elle ressent et chasser le « balagan », il lui reste la peinture. Peindre, pour se débarrasser des mots qui l’étouffent, peindre pour dire ses sentiments, peindre, surtout, pour raconter ce cauchemar inexplicable et récurrent : un homme tombant d’un balcon. La peinture est pour elle, un formidable exutoire, pourtant ses œuvres ne cessent d’effrayer ses parents. Elle découvre qu’ils lui cachent un secret terrible, lui mentent sur ses origines. Courageuse, téméraire, Emilie décide de mener l’enquête à sa manière. À des milliers de kilomètres de là, en Islande, alors qu'il ne se connaissent pas, Robert Repac un vieux médecin de campagne, tente désespérément d’oublier sa vie d’avant et est hanté par le même cauchemar qu'Emilie, celui de l'homme tombant d'un balcon.

    En dressant le portrait d’une ado attachante, excessivement lucide et perspicace, Marie Charrel persévère dans son exploration sans détour de l’âme humaine. Obsédée par le secret qu’on lui dissimule, la jeune héroïne creuse, fouille et ressasse le passé, tandis que Robert préfère l'enfouir sous terre. Ce récit croisé d’enfant et d’adulte permet à l’auteure d’évoquer ses blessures : elle dit les souvenirs qu’on enferme et qu’on voudrait oublier à jamais, évoque le passé qui resurgit sans crier gare et qu’il faut affronter. Et sous la plume de Marie Charrel, il pleut des trombes de mots. Passionnée par le vocabulaire, l’héroïne cherche à faire sortir ce gigantesque abîme, et n’a d’autre solution que de peindre, à l’image de l’écrivain qui lisse et ordonne: il donne une couleur, une odeur, un goût, une énergie même, aux sons qu’il retranscrit. Dans ce deuxième roman abouti, original, et dépouillé de toute naïveté, Marie Charrel va plus loin que la simple métaphore de la vocation d’écrivain. Elle écrit sur l’incompréhension et la difficulté d’expression, sur le désastre des non-dits. A l’extrême limite du langage, quand les mots deviennent inutiles et vains, elle fait sauter le verrou des sentiments humains.

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