Prescripteurs de saines addictions

Primates et Philosophes

Frans de Waal

Éditions du Pommier

  • Conseillé par (Librairie Dialogues)
    20 mars 2009

    « La science efface des frontières. Elle les rend floues. Frontières entre la matière et le vivant…entre l’animal et l’humain » écrit Jean-Claude Ameisen, faisant écho à cette idée de Darwin que « la différence en ce qui concerne l’esprit entre l’homme et les animaux supérieurs, aussi grande soit-elle, est certainement de degré et non de nature ». Frans de Waal, dans le fil du darwinisme, pense qu’il y a continuité entre les comportements moraux humains et non humains. Dans « Primates et philosophes » il s’applique à démontrer qu’on peut comprendre l’émergence de la morale chez l’homme en étudiant le comportement des chimpanzés et des autres grands singes. Il commence par critiquer la « théorie du vernis » selon laquelle la nature profondément égoïste de l’homme ne serait que recouverte d’une mince couche de règles morales relevant de la construction culturelle. De Waal, à l’inverse, pense que le sentiment moral chez l’homme commence avec l’empathie. Darwin déjà croyait que « Beaucoup d’animaux […] éprouvent certainement de la sympathie pour la détresse ou le danger (que ressent) l’autre » et « que les animaux (sociaux) ont un sentiment d’amour les uns pour les autres ».

    Selon De Waal il faut situer l’émergence de la morale dans le fil de l’évolution. De l’altruisme involontaire, qu’on observe chez tous les animaux, à l’altruisme réciproque, que l’on voit chez les dauphins, chez les éléphants, les grands singes et chez l’homme, aux émotions sociales (chez les grands singes et chez l’homme) et au jugement moral que seuls les humains formulent il n’y a pas de discontinuité mais seulement changement graduel, évolution. Et, bien sûr, l’éminent primatologue cite à l’appui de sa démonstration nombre d’exemples frappants, parmi lesquels celui-ci: « un jour Kuni captura un étourneau. Redoutant qu’elle ne lui fasse mal –l’oiseau semblait indemne- la gardienne lui demanda de le relâcher. Kuni l’emmena et le posa doucement à terre, sur ses pattes, mais il resta sur place, pétrifié. Comme il ne bougeait pas, elle le jeta en l’air : il ne fit que voleter quelques instants. Elle le reprit donc d’une main, puis grimpa au sommet de l’arbre le plus haut des environs, enserrant le tronc de ses jambes pour avoir les deux mains libres. Ensuite, elle déplia soigneusement les ailes de l’oiseau, les ouvrit toutes grandes, avant de le projeter aussi fort qu’elle put au-delà des imites de l’enclos. Malheureusement il retomba au bord du fossé, où Kuni le protégea un long moment des attentions d’un jeune bonobo un peu trop curieux. » . De Waal poursuit en soulignant la forte propension qu’ont les grands singes à aider, allant jusqu’à prendre pour les autres des risques conséquents. Sa réflexion, pour reprendre le mot de l’éditeur, va bien au-delà de l’opposition simpliste entre nature et culture et illustre l’alliance novatrice de la philosophie et de la biologie au service de l’éthique. Belle alliance.