Prescripteurs de saines addictions

Une vie comme les autres

Hanya Yanagihara

Buchet-Chastel

  • Conseillé par (Librairie L'Armitière)
    2 janvier 2018

    Une fois refermé ce prodigieux roman, le prénom du héros, Jude, résonne douloureusement comme une immense complainte, une omniprésence accablante et si attachante qu'il est vain de tenter de s'y soustraire.
    Le récit s'ouvre sur le portrait un tant soit peu badin de quatre amis étudiants à New York dont on est amené à suivre les destins durant les trente années suivantes. Leurs complicités comme leurs attentes, leurs aspirations, leurs désirs mais aussi leurs succès et leurs joies, leurs déboires et leurs déceptions s'entremêlent dans un touchant hymne aux amitiés masculines profondes. Mais peu à peu, imperceptiblement, le roman se recentre sur le plus mystérieux et obscur des protagonistes, l'énigmatique Jude.
    Et c'est alors que le miracle se produit; au fur et à mesure que le cœur se serre l'inextricable se dévoile. D'une écriture délicate et pudique, étouffante de vérité, des réalités insoutenables de cruauté sont divulguées. Les hyènes qui tournoient sans relâche autour de Jude révèlent leurs secrets pour laisser place à un récit saisissant de profondeur.
    Huit cents pages de stupeur d'une indicible densité.
    "Une vie comme les autres" est un choc littéraire bouleversant, une immersion inoubliable dans les tréfonds de l'âme humaine, un monument d'empathie et de souffrance qui laisse des traces.


  • Conseillé par
    12 janvier 2018

    JB, Malcolm, Willem et Jude. Ils sont quatre, se sont rencontrés sur un campus universitaire et ne se sont plus quittés des bancs de la fac jusqu'à leurs premiers pas à New-York et la consécration de leurs carrières. JB, c'est le peintre. Il est d'origine haïtienne, aperdu son père très tôt et a été élevé par des femmes, sa mère, sa grand-mère et sa tante. JB est sûr de son talent, ambitieux, persuadé qu'un jour il sera au sommet. Pour réussir, il est prêt à tout et n'hésite pas à profiter de ses amis, voire à les trahir. Malcolm, c'est l'architecte. Il est métis, sa famille est riche, il a vécu chez ses parents jusqu'à près de 30 ans. Malcolm est discret, gentil, serviable. Il a du mal à prendre son envol, il hésite à ouvrir son propre cabinet d'architecture, par peur de décevoir ses parents. Willem, c'est l'acteur. Il est né en Suède dans une ferme avec des parents taiseux et un frère polyhandicapé dont il s'est beaucoup occupé. Il est beau sans le savoir, d'une gentillesse rare, dévoué à ses amis. Jude, c'est l'avocat. De ses origines, il ne sait rien, de son passé, il ne dit rien. Jude a vécu l'enfer et son corps en garde les séquelles, il boîte et souffre beaucoup du dos. Moralement, il est aussi très marqué mais il refuse de se confier, accorde difficilement sa confiance, se bat pour mener ''une vie comme les autres''. Ses amis sont une bénédiction pour ce solitaire dans l'âme, surtout Willem dont il est très proche.
    Durant trente ans, nous allons suivre ce quatuor inséparable, de leurs débuts à leurs succès les plus éclatants. JB, Malcolm, Willem et surtout l'insaisissable Jude, diminué mais charismatique, sombre et solaire à la fois. C'est lui qui cristallise l'amitié des trois autres, toujours là pour l'aider, le soutenir, le protéger malgré son souci constant de ne pas être un poids, de se débrouiller par lui-même.

    4 amis, 30 ans et...813 pages. C'est un poil long pour découvrir les terribles secrets de Jude. Hanya Yanagihara n'en finit pas d'entretenir un suspense lancinant en distillant des informations (toujours sordides) sur le passé de cet homme qui n'a vraiment pas eu de chance, tombant entre les mains des pires prédateurs les uns après les autres. Cette accumulation tend d'ailleurs à rendre son récit peu crédible. Et même si l'on passe sur le fait que ce cher Jude n'a vraiment pas eu de chance, il reste son comportement exaspérant tout au long de sa vie d'adulte. Lui qui se veut discret, qui n'aime pas solliciter l'aide des autres, est en fait constamment en demande. A force de vouloir tout faire tout seul, il commet moultes erreurs qui font de lui un boulet. Comment ses amis supportent-ils cela de longues années durant ? Grâce à leur bon cœur, bien sûr ! Que de grands sentiments, d'amitiés indéfectibles, de fidélité, d'amour même ! Mais malgré tout cela, Jude reste enferré dans son passé. Il a tellement été battu, exploité, humilié, rabaissé qu'il ne croit plus qu'on puisse l'aimer, qu'il s'imagine sale, laid, repoussant,mauvais. Et tous les témoignages d'affection autour de lui n'altèrent en rien cette idée qu'il ne vaut rien...Seules les scarifications qu'il s'inflige le soulagent un peu de sa douleur morale. Alors il ne se prive pas ! Il se lacère les bras à tout-va, causant le désespoir de tous ses proches.
    Bref, ce personnage est un sac d'ennui qui met quotidiennement à l'épreuve l'amour de ses amis et la patience du lecteur.
    Par ses excès, l'auteure a voulu créer l'empathie chez le lecteur et cela marche pour certains. D'autres seront saturés par toute cette noirceur, ne croiront pas à cette malchance chronique et s'impatienteront devant un Jude qui aspire au bonheur sans se donner les moyens de l'atteindre. Le roman n'est pas mauvais, il se lit comme une saga américaine où les gens sont beaux, gentils, très riches et vivent dans l'opulence en plein cœur de Manhattan. Il aurait gagné à être plus nuancé et aussi plus court. Par contre, il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter la vie désastreuse de Jude, âmes sensibles, s'abstenir.