4 - Clem 4 - Loin des yeux, près du coeur

couverture

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© Hachette Livre, 2008.

Illustration de couverture : Stéphane Jamet

ISBN: 978-2-01-323573-0

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Debout, face au miroir de la salle de bains (où je me suis enfermée à triple tour), j'enchaîne les grimaces : je plisse les yeux, écarte ma bouche avec les doigts, me force à sourire, m'écrase le bout du nez... C'est bête, mais ça me fait du bien. Tout ça, parce que depuis qu'Audrey a quitté l'école, je n'ai plus du tout envie de me retrouver avec les élèves de ma classe. Ce matin encore, une boule de peur me brûle le ventre et me rend totalement patraque. Si ça continue, je vais l'appeler la peur dévoreuse de ventre.

Elle m'a prise d'un coup, comme une envie de faire pipi. Sauf que c'est loin d'être pareil. Elle se réveille chaque matin (toujours en même temps que moi). Elle ressemble, comme deux gouttes d'eau, à la panique qui me gâche l'équitation les jours où je me sens fatiguée : je crois que mon poney va sentir que je faiblis et qu'il va m'éjecter au sol pour me punir !

D'ailleurs, je n'y vais plus à l'équitation en ce moment. Depuis qu'Audrey a déménagé, j'ai perdu l'envie de retourner aux endroits où j'allais avant. Cela me rappelle trop le temps où elle était avec nous. Ce n'est pas si loin. Il y a juste un mois qu'elle a déménagé... Et puis, il y a Marion : je ne l'ai presque pas vue ces jours-ci. Elle va bientôt avoir un nouveau petit frère ou une petite sœur. Ça se bouscule dans sa tête et elle passe son temps à en parler avec Cécile, la nouvelle de sa classe. Ses parents sont en train de divorcer. Les parents de Marion aussi, ils se sont séparés. C'est pour ça qu'elles n'arrêtent pas de faire comme si elles partageaient un grand secret. Elles sont persuadées que je ne comprends rien à leurs conversations, sous prétexte que mes parents vivent toujours ensemble. Ça me fait de la peine. Marion me confiait tout autrefois. On ne se quittait jamais elle, Audrey et moi.

Et, Audrey, qui n'a pas répondu à une seule de mes lettres (pas plus qu'à celles de Marion !). Elle nous avait promis, pourtant. Alors, comme personne ne me parle plus, comme je me retrouve seule au milieu d'un grand silence, j'attends... j'attends... Je cherche à comprendre et, soudain, la peur qu'Audrey ne pense plus à moi, que Marion se détourne de moi grandit et grandit dans mon corps, jusqu'à ce qu'elle se transforme en une grosse douleur. Je crois qu'elles m'ont oubliée. Que notre trio de coccinelles ne compte plus que moi, Clémentine Veyrat, élève de CM2 qui guette, jour après jour, un signe d'amitié de ses deux grandes copines. Et, le pire de tout ça, c'est qu'avec ces idées noires qui me brouillent l'esprit, je n'ai même plus le courage de plonger dans mon carnet magique et d'y puiser une recette de survie. J'en ai peut-être recopié une qui m'aiderait à chasser cette idiote de grosse peur.

Et pourquoi je ne commencerais pas tout de suite, à l'instant, à la minute ?! Il me suffit de le décider ! Après tout, elle n'est pas encore née, la dévoreuse de ventre qui va m'empoisonner la vie. Ça y est ! Je retrouve l'envie d'aller à l'école. Et je verrai Marion, qu'elle le veuille ou non. Peut-être que mon air chagrin la fait fuir ? Et puis, ce n'est pas parce qu'Audrey n'est plus dans ma classe, qu'elle ne pense plus à moi. Fini ! Assez duré la cérémonie des grimaces ! Ce n'est pas en me tirant la peau comme une vieille sorcière que je vais remettre mes idées en place.