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Agir par la parole, Porte-paroles et asymétries de l'espace public
EAN13
9782753562950
Éditeur
Presses universitaires de Rennes
Date de publication
Collection
Res Publica
Langue
français

Agir par la parole

Porte-paroles et asymétries de l'espace public

Presses universitaires de Rennes

Res Publica

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Dans les espaces politiques civilisés de nos États parlementaires, les
conflits politiques et les revendications ne prennent plus des formes
violentes mais passent par l'usage de discours politiques contrôlés au sein
d'un espace public institutionnalisé. Grève, mouvement social, opposition d'un
groupe à une réforme du gouvernement, construction d'un problème public,
demande d'une extension des prestations sociales : les occasions sont
nombreuses au cours desquelles les différents protagonistes du jeu politique
cherchent à convaincre les journalistes du bien-fondé de leur point de vue.
Les interventions de groupes nouveaux – les représentants des « banlieues »,
ceux des victimes de l'explosion de AZF – s'entremêlent dans le récit
journalistique de l'actualité avec les déclarations des porte-paroles
d'organisations syndicales ou professionnelles plus institutionnalisés – CGT,
MEDEF, Greenpeace, etc. – pour dessiner une arène publique dans laquelle
l'action du gouvernement est discutée et réorientée continûment en fonction
des rapports de force qui y sont construits. Aussi la tentation est forte pour
les journalistes ou les analystes de considérer que la qualité des porte-
paroles joue un rôle décisif dans le résultat final des interactions
conflictuelles du jeu politique. Le talent d'Augustin Legrand ou celui
d'Harlem Désir n'est-il pas à l'origine de la capacité des mouvements qu'ils
représentaient d'obtenir la prise en compte des intérêts qu'ils défendent ? Au
contraire, l'incapacité des pilotes d'Air France de défendre leurs intérêts
lors de leur grève de 2014 n'a-t-elle pas pour cause les difficultés qu'ils
ont eu d'avoir un porte-parole constant, disponible, ajusté aux contraintes
des rédactions audiovisuelles et capable d'unifier aux yeux des journalistes
les interventions des syndicats de pilote ? En ce sens, les rapports de force
induits par les mouvements sociaux ne seraient plus véritablement matériels ou
directs – le blocage des trains lors d'une grève empêchant la circulation des
marchandises et des voyageurs et contraignant le gouvernement à négocier ; la
paralysie des grèves de Mai 68 ne pouvant être levée qu'à travers les
négociations de Grenelle – mais plutôt symbolique : l'important est que le
mouvement apparaisse aux journalistes justifié et acceptable,
l'éditorialisation positive ou négative des rédactions conduisant à la
production de sondages susceptibles de conforter le gouvernement ou de
l'obliger à infléchir ses orientations. Cependant, n'est-il pas excessif de
faire de la parole des différents groupes et de la qualité inégale de leurs
interventions un facteur décisif de la définition des priorités du
gouvernement ?
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